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L’uniforme scolaire en jurisprudence

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L’uniforme scolaire porte-t-il atteinte à la liberté d’expression des élèves ? Jusqu’où les établissements scolaires peuvent-ils aller dans les obligations – ou au contraire les interdits – vestimentaires qu’ils imposent à leurs étudiants ?

Il existe une abondante jurisprudence sur ces questions, aux Etats-Unis du moins où le recours au juge est plus fréquent que chez nous. Ces jugements et les raisonnements qui les sous-tendent ne sont sans doute pas pleinement transposables dans notre culture ni dans notre environnement juridique, mais les arguments échangés et les principes énoncés par les magistrats n’en sont pas moins intéressants.

Nous retraçons ici trois affaires parmi les plus emblématiques.

Tinker v. Des Moines Independent Community School DistrictLe vêtement comme élément de la liberté d’expression

En décembre 1965, trois élèves d’un établissement scolaire de Des Moines, dans l’Iowa, Mary Beth Tinker, John Tinker et Christopher Eckhardt, respectivement élèves en classes de quatrième et de première, viennent à l’école en arborant un brassard noir, signe de protestation contre l’engagement américain dans la guerre du Vietnam.

La famille Tinker, connue localement pour son implication dans le mouvement de défense des droits civiques, n’avait pas fait mystère de son intention de manifester de cette manière. Aussi le principal du collège, dûment averti, avait-il publié quelques jours auparavant un amendement au règlement intérieur de l’établissement interdisant le port du brassard. Lorsque les enfants se présentèrent à l’école munis de leur brassard, ils furent donc sommés de le retirer, refusèrent et se trouvèrent dès lors frappés d’une exclusion temporaire pour motif disciplinaire.

Les parents attaquèrent l’école en justice, en soutenant l’idée que le port du brassard noir était une manifestation de la liberté d’expression garantie à leurs enfants par le premier amendement de la constitution des Etats-Unis et ne pouvait donc être puni. La cour les débouta mais l’affaire suivit son cours en appel puis en cassation. Pour finir, en 1968, la cour suprême, saisie de l’affaire, jugea à une majorité de 7 voix contre 2 que l’école n’était pas fondée à restreindre la liberté d’expression des élèves dès lors que celle-ci ne causait pas d’entrave significative (« substantial disruption ») au bon fonctionnement de l’école et n’empiétait pas sur les droits des autres élèves.

Cette jurisprudence est depuis lors régulièrement citée par les partisans comme par les adversaires de l’uniforme scolaire. Les adversaires de l’uniforme y voient l’affirmation du fait que la liberté d’expression inclut aussi la liberté de chacun de s’habiller comme il l’entend. Les partisans de l’uniforme relèvent quant à eux un autre passage de la délibération de la cour, qui précise que « le problème posé par le présent cas d’espèce ne porte pas sur la longueur des jupes ou sur le type de vêtements » et est sans rapport avec le port de l’uniforme, déjà jugé conforme à la constitution dans des jurisprudences précédentes.

Bivens by Green v. Albuquerque Public SchoolsS’habiller à la mode ne relève pas de la liberté d’expression

Bien des années plus tard, en 1995, on trouve un écho de cette décision dans un autre cas exemplaire. Le requérant, Richard Bivens, élève en classe de troisième dans un collège d’Albuquerque au Nouveau Mexique, est exclu de son établissement pour avoir porté des « sagging pants ». Ce sont des pantalons très larges et tombants sur les hanches, que l’école avait explicitement bannis de son code vestimentaire car ils étaient alors le signe de reconnaissance de gangs de jeunes délinquants de la ville. L’élève avait été rappelé à l’ordre à maintes reprises déjà, avait fait l’objet de plusieurs exclusions de courte durée pour ce même motif entre août et octobre 1993. Finalement, fin octobre 1993, l’école lui signifie une exclusion pour la durée restante du semestre.

Le requérant attaque cette décision d’exclusion en arguant, comme dans l’arrêt Tinker, qu’elle porte atteinte à sa liberté d’expression. Il allègue aussi le fait que ces pantalons tombants sont l’expression de son identité en tant que jeune Noir et une manière pour lui d’affirmer son appartenance à la culture noire et aux codes de la jeunesse urbaine afro-américaine.

La cour n’a pas retenu cet argument, considérant que les pantalons tombants, contrairement au brassard noir de l’arrêt Tinker, ne constituent pas un message politique, ni même ne représentent une identité ethnique. Cette mode « n’est pas nécessairement associée à un groupe racial ou culturel unique, et doit être considérée simplement comme un style adopté par nombre d’adolescents aux Etats-Unis. »

Phoenix Elementary School District No. 1 v. GreenLa liberté d’expression, mais pas par n’importe quel moyen

En mars 1997, c’est au tour de la cour d’appel de l’Etat d’Arizona de confirmer la constitutionnalité de l’uniforme scolaire. Cet arrêt fait date car c’est la première fois qu’un juge valide une politique d’uniforme qui ne comporte pas de clause dérogatoire (« opt out »).

En l’occurrence, l’uniforme prescrit par la Phoenix Preparatory Academy se présentait ainsi : un haut blanc avec un col (chemise ou polo), sans logo ni marque ; un bas bleu marine (pantalon, bermuda ou jupe). Le règlement prévoyait que si un élève se rendait occasionnellement à l’école avec un vêtement inapproprié, il serait rappelé à l’ordre et on lui prêterait un vêtement adéquat pour la journée ; si un élève refusait la politique d’uniforme ainsi définie, on lui proposerait une place dans une autre école du même ressort scolaire.

Peu après la rentrée, deux élèves se sont présentés à l’école vêtus de T-shirts imprimés : l’un portant un drapeau américain et le slogan « I support my country », l’autre marqué d’une image de Jésus Christ et d’une bible, avec les mots « Jesus », « True Spirit » et « School of Higher Learning ». Au demeurant, le jour même, les parents informaient l’école qu’ils refusaient de se soumettre à l’uniforme obligatoire et invoquaient leur droit à y déroger au titre de la liberté d’expression. En réponse, l’école leur notifiait le transfert de leurs enfants dans une autre école de l’académie, dépourvue d’uniforme.

Appelée à se prononcer sur ce cas, la cour a donné raison à l’école en rappelant plusieurs points :

  • Premièrement l’uniforme scolaire ne porte pas atteinte à la liberté d’expression des élèves car, s’il règlemente le moyen d’expression, il n’interfère en revanche nullement avec le contenu de ce qu’ils souhaitent exprimer. Ils restent parfaitement libres d’exprimer leur opinion par d’autres moyens que le vêtement.
  • Deuxièmement l’école est avant tout un lieu d’éducation, pas un forum de débats politiques. Le code vestimentaire prescrit était jugé raisonnable et adapté à la mission de l’école.
  • Troisièmement la cour a rappelé le nécessaire équilibre entre intérêts individuels et intérêt collectif. Elle a notamment relevé que le but de l’uniforme scolaire était de contribuer, au bénéfice de l’ensemble des élèves, à une atmosphère studieuse, à un climat de sécurité sur le campus, à l’unité et à la fierté d’appartenance des élèves ; et que cet intérêt collectif primait sur la liberté d’expression individuelle.

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